À voix haute

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Saint-Michel – 7 décembre 2014

2ème dimanche de l’Avent

Élève la voix, ne crains pas. Is 40, 9 

Une voix s’élève dans le désert. Comment son écho est-il parvenu jusqu’à nous ? Car une voix, c’est faible même quand on parle fort. Un rien suffit à l’étouffer : un souffle de vent fait disparaître un mot et le sens de la phrase avec lui ; un moment d’inattention empêche d’entendre ce qui a été prononcé. Pourtant quand le Seigneur veut abaisser toute colline et combler tout ravin, il choisit comme instrument la faiblesse d’une voix :  celle de Jean-Baptiste. C’est sa manière de faire depuis les origines. La Bible est l’immense histoire de la manière dont Dieu change nos cœurs par sa parole. Bien sûr c’est nettement plus long de changer quelqu’un en lui parlant qu’en lui mettant une épée sous la gorge, mais c’est aussi généralement plus efficace. La violence peut obtenir la servitude d’autrui mais pas son amour ; la parole s’adresse à la liberté humaine et l’entraîne à aimer. 

Malgré leur faiblesse apparente, nos voix sont donc puissantes. Il suffit pour s’en convaincre de voir le mal qu’elles peuvent commettre en peu de temps : un seul mot blessant peut briser une vieille relation. Mais c’est plus vrai encore dans l’ordre du bien. Nos mots engendrent des richesses éternelles. Ce que nous avons reçu de plus précieux, nous l’avons reçu par le verbe. Quand nous pensons à l’héritage que nous ont laissé nos éducateurs : parents, grands-parents, catéchistes, etc., nous sommes peut-être attachés à l’un ou l’autre objet que ces personnes nous ont laissé, mais nous le sommes plus encore, souvent sans même nous en apercevoir, à ce qu’elles nous ont transmis par la parole. Cet héritage ne se mesure pas car il dépasse largement ce que nous sommes capables d’exprimer. Une mère s’assoit à côté de son fils et répond à ses questions enfantines. Un éducateur prend le temps d’écouter un jeune et de lui dire ce qu’il a compris du mystère de la vie. Des parents se mettent à genoux avec leurs enfants devant la crèche et leur enseignent les mots de la prière. Ces voix entendues ont sculpté nos cœurs pour l’éternité, elles nous ont façonnés pour faire de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Nos vies sont le fruit des mots frêles et passagers qui ont frappé nos oreilles pour porter en nos âmes une parole éternelle. 

Parmi toutes ces voix du passé, il y en a une que nous entendons tous les ans et que le Seigneur a choisie comme sa flèche préférée pour nous préparer à le recevoir, c’est celle de Jean-Baptiste. D’année en année, nous risquons de ne plus bien y faire attention comme on écoute d’une oreille distraite la première partie d’un concert en attendant la star qui doit venir ensuite et pour laquelle on est là. Nous attendons le Verbe qui s’incarne à Noël, pourquoi écouter la voix de Jean-Baptiste le précurseur ? Précisément pour être à même d’accueillir le Verbe. Jean-Baptiste, comme une voix, s’élève puis disparaît une fois que la parole a atteint nos cœurs, mais il est un moment nécessaire. Les évangélistes l’évoquent pour nous rappeler que nul n’a connu le Christ sans avoir d’abord entendu un témoin, quelqu’un qui nous a parlé de Jésus, que nous avons écouté et qui nous a menés jusqu’à la crèche. 

Si nous voulons être prêts au jour de Noël à recevoir le Seigneur attendu, il nous faut reparcourir le chemin qui nous avait initialement conduits à lui. C’est pourquoi, avec Jean-Baptiste, nous faisons mémoire en ce dimanche des voix que nous avons entendues. C’est donc le moment de remercier le Seigneur pour les personnes qui, par leurs mots, nous l’ont fait connaître. Nous avons tous dans le cœur une catéchiste, une grand-mère, un aumônier, un proche qui nous a parlé de Dieu avec suffisamment de lumière dans le regard pour marquer notre vie. Ces Jean-Baptiste ont pu disparaître, nous leur devons la foi. En nous souvenant de ces parents, éducateurs ou évangélisateurs, et de la manière dont ils ont bouleversé nos vies, écoutons dans notre mémoire les mots qu’ils ont prononcés pour nous. En les découvrant ainsi de nouveau, laissons le Seigneur croître encore en nous. Si nous voulons que notre cœur soit changé, mettons-nous de nouveau à l’école de ceux qui l’ont façonné. 

Ce souvenir nous encourage aussi à devenir à notre tour les voix du Verbe. Si d’autres ont pu, par leurs faibles mots, nous mener à connaître le Seigneur qui nourrit nos vies, nous avons nous aussi ce pouvoir de porter le Christ – la Parole faite chair – à ceux qui nous entourent, dans l’infirmité de nos paroles humaines. La manière la plus efficace de changer le monde, c’est de parler. C’est à nos langues, si pauvres soient-elles, que le Seigneur a confié le salut du monde, puisque c’est par elles qu’il a choisi de rejoindre l’humanité tout entière. Mettons-les donc au service de sa parole et demandons-lui d’emplir nos bouches des mots qui embraseront les cœurs d’espérance et de joie en leur faisant connaître le Christ, la parole faite nourrisson dans une crèche. Amen.