Pareil à la feuille morte

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Saint-Michel – 30 novembre 2014

1er dimanche de l’Avent

« Nous étions tous desséchés comme des feuilles » – Livre d’Isaïe 

Comment fait-on quand il n’y a plus de désir ? C’est une maladie qui nous touche tous à un moment ou à un autre. Cette perte de goût rend tout fade et sans valeur. Un couple s’aime passionnément et d’un désir fougueux ; mais l’usure du temps fait rage et érode tout : cet homme et cette femme qui ne vivaient que l’un pour l’autre en arrivent à ne plus même se regarder. La source du désir semble tarie. Bien sûr, il y a la solution simple d’aller chercher ailleurs la nouveauté qui fera renaître le désir. Mais s’il l’on croit à l’amour, tout ne peut pas s’arrêter là. Comment fait-on alors pour que rejaillisse le feu de l’ancien volcan ? Dans l’ordre spirituel, nous traversons des épreuves du même type, il y a des moments où la foi semble chose facile : nous désirons Dieu d’un très grand amour. Viennent des moments où ce désir s’estompe. Notre vie spirituelle s’essouffle et nous perdons la saveur de Dieu.

Dans cet endormissement, nous courons le risque de ne même pas nous apercevoir de sa venue. Si nous ne désirons plus rien lorsqu’il viendra les bras chargés de ses dons, nos cœurs seront tellement froids que nous serons indifférents à celui qui s’approche. Imaginez un instant des enfants qui ne désireraient plus rien et que le père Noël et son traîneau chargé de cadeaux laisseraient de marbre. C’est exactement notre état quand nous venons à la messe blasés de tant de grâces et que nous nous approchons de l’autel sans désir dans le cœur ou que nous nous approchons sans plus aucun émerveillement de la crèche au jour de Noël. Il donne tout mais nous ne recevons rien car nous sommes comme des terres arides sur lesquelles l’eau coule sans pouvoir imprégner le sol.

Il y a de fausses solutions à cette neurasthénie spirituelle : fuir ou se mentir. Fuir c’est chercher à l’extérieur le changement qui ravivera le désir. On peut ainsi enchaîner les expériences sans jamais s’engager dans aucune d’entre elles, courir les communautés sans s’attacher à aucune, à la recherche permanente de la nouveauté qui nous rendra le désir, changer de méthode de prière tous les mois pour y trouver toujours du neuf. Se mentir, c’est au contraire ne pas vouloir voir le problème, prétendre que tout va bien, que nous aimons comme au premier jour par peur de reconnaître notre tiédeur et la gravité de notre situation, car c’est grave de ne plus avoir de désir. En effet, si nous ne souhaitons plus rien, le Seigneur ne pourra pas nous combler au jour de sa venue, car nous serons fermés.

Dans cette situation douloureuse, notre chance, c’est de sentir que manque en nous le désir et d’en souffrir. Souffrir de ne pas assez aimer, c’est déjà aimer. Si nous n’aimions vraiment pas, cela nous serait bien indifférent. Si nous ne désirons pas assez le Seigneur, au moins désirons-nous le désirer, au moins ressentons-nous notre déprime intérieure. Tout peut recommencer à partir du moment où nous ne nous satisfaisons plus de la situation : ce manque peut devenir prière. Ton désir c’est ta prière dit Saint Augustin. La prière est comme un long exercice de désir, c’est pour cela qu’elle est attente, patience, ennui même parfois. Veillez et priez : c’est-à-dire faites de cette attente du maître votre prière, dites-lui votre peu de désir et votre désir de le désirer.

Cette prière, c’est le sens principal de l’avent, qui est un temps de gestation pour notre désir. Durant ces quatre semaines, nous voulons permettre au Seigneur de faire grandir en nous le manque de lui afin qu’il nous comble ensuite par sa venue au jour de Noël. Être prêt à recevoir le maître, ce n’est pas tant avoir fait le ménage ou bien être tout propre, que d’avoir le profond désir qu’il vienne : aucun intérêt de l’accueillir dans une maison impeccable que l’amour aurait abandonnée. Ce désir amoureux s’entretient dans la veille et la prière. Certes, c’est paradoxal, mais la manière de retrouver goût aux choses, c’est d’y plonger plus avant. Un homme a perdu tout désir pour son épouse, il ne le retrouvera qu’en se donnant davantage à elle. Ce n’est pas en cherchant en soi les ressources du désir qu’on les y trouve mais c’est en donnant à l’autre ce qu’on pense ne plus avoir. Nous souffrons de notre manque de désir pour Dieu, c’est en laissant accroître ce manque dans la prière que nous verrons se rallumer en nous la soif et la faim de son amour. Amen.