Saint-Michel – 9 novembre 2014
Dédicace de Saint Jean de Latran
L’amour de ta maison fera mon tourment.
Pourquoi donc cette fête ? Pour nous rappeler que nous ne sommes pas faits pour cette terre dans son état actuel et que notre patrie se trouve dans les cieux. Nous aimerions avoir une maison, un lieu dont nous chérissons le souvenir, un endroit dont nous connaîtrions le moindre craquement de plancher, dont la simple odeur nous réjouirait et dont l’abord familier et serein nous apaiserait. Cet abri ne serait d’ailleurs pas simplement constitué d’un toit et de quatre murs mais ce bâtiment tiendrait sa valeur de ceux qui l’habiteraient : une table où nous saurions être bienvenu, le cœur d’une mère où nous saurions être entendu, les bras d’un père où nous saurions être attendu, une famille qui serait pour nous l’asile le plus sûr. Être désiré quelque part ! Voilà qui permet de tout risquer, d’affronter les plus dures épreuves, de parcourir les mers avec assurance parce que des bras ouverts nous attendent au port. Les plus chanceux d’entre nous ont goûté quelque chose de ce foyer au cours de leur enfance, les autres n’en ont jamais connu la chaleur, les uns comme les autres nous nous sommes aperçu que ce lieu où nous pourrions nous réfugier, ce lieu où nous serions attendus nous était rarement accordé sur cette terre et que, quand il était donné, ce n’était que pour un temps et de manière souvent imparfaite.
En effet, un jour ou l’autre, la maison prend l’eau de l’intérieur ou de l’extérieur. De l’extérieur, c’est un événement : un décès, une séparation, une dispute, un déménagement et voilà que le lieu où nous croyions pouvoir toujours nous abriter nous est retiré, le sol que nous pensions solide se dérobe sous nos pieds, les bras dans lesquels nous espérions pouvoir nous réfugier se referment, les parents sur lesquels nous pensions pouvoir nous appuyer toute la vie nous sont retirés et nous nous apercevons que nous n’avons plus de pierre où reposer la tête. De l’intérieur, c’est le temps qui installe en nous le sentiment tragique que nous sommes isolé, que nul ne peut se mettre à notre place, que les amis les plus intimes, s’ils peuvent nous soutenir, ne portent jamais nos fardeaux à notre place et qu’il ne nous reste plus qu’à endurer le poids de cette solitude. On peut être au milieu d’une foule, avoir un toit pour s’abriter et pourtant se sentir complétement seul et nu. Que le temps nous l’enseigne lentement ou que nous nous en apercevions brusquement, nous prenons alors conscience de notre exil.
Citadelle pour nous le Dieu de Jacob ! En fêtant la très ancienne cathédrale de Rome, nous célébrons le fait que cet exil prend fin aux portes de la cité sainte ; en entrant dans l’Église nous avons trouvé des frères et sœurs, nous avons trouvé la mère qu’il nous faut et le Père qui nous reçoit. Saint Jean avait tout compris qui reposait sur le côté de Jésus, ne cherchons plus ailleurs notre repos que sur le cœur du Christ. Nos refuges ici-bas sont toujours temporaires, c’est Jésus, notre seul abri, c’est lui le Temple nouveau, la demeure à laquelle nous aspirons et les bras qui nous désirent ! Certes, notre pèlerinage n’est pas achevé, nous avons encore à marcher sur cette terre, nous avons encore des mers à traverser, nous souffrirons encore de notre solitude et de notre exil, mais sachant désormais vers où aller, sûrs qu’il y en a un qui guette le son de notre pas, comptant sur le Père qui, au bout de la route, court à nos devants pour se jeter à notre cou, espérant la table où une place nous est réservée et où des frères nous attendent impatiemment.
Nous ne sommes plus apatrides mais citoyens des cieux, patrie qui s’ébauche déjà dans notre Église : corps du Christ. C’est dans l’Église que nous trouvons notre abri le plus sûr, nous en voyons le signe dans les pierres de Saint-Jean de Latran traversant les siècles et pointant vers le ciel. Même si nous avons souffert de l’Église, même si parfois nous nous y sentons mal à l’aise, ne croyons pas trouver ailleurs le repos de nos âmes. La maison est encore en construction mais c’est bien elle dont le Christ est la pierre angulaire, nul autre espoir pour nous qui cherchons un foyer. Souvenons-nous des jours où l’Église fut pour nous ce précieux refuge – quand nous y avons trouvé la vie par les sacrements, quand nous y avons été écouté d’une oreille attentive, quand nous y avons trouvé Jésus dans la prière, etc. – louons le Seigneur pour le toit qu’il a mis au-dessus de nos têtes et restons-y fidèle quand l’usure du temps et les blessures des hommes nous tentent d’aller chercher ailleurs un repos meilleur. Ce repos, seul le Christ nous le donnera et il nous le donnera dans la maison solide de l’Église puisque c’est là que nous avons commencé à y goûter. Amen.