Saint-Michel – 19 octobre 2014
29ème dimanche du temps ordinaire
Tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu.
Les contradicteurs de Jésus s’avancent en flatteurs. En lui adressant leurs compliments hypocrites, ils espèrent l’apprivoiser pour mieux le prendre au piège. Soit que nous en usions nous-mêmes, soit que l’on en use contre nous, nous connaissons ce vil pouvoir de la flatterie. Que vous êtes joli ! Que vous me semblez beau ! De telles paroles agissent comme un miroir déformant, elles renvoient une image idéalisée de celui qui les écoute pour mieux vivre à leurs dépens. Sans mentir, – toujours se méfier des protestations de véracité – si votre ramage se rapporte à votre plumage, vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.
La leçon coûta un fromage à Maître Corbeau. Jésus ne s’y laisse pas prendre, il a repéré la fourberie et il en fait l’occasion d’un enseignement sur l’image, car c’est bien de notre image dont il est question. La première image, évoquée par ces compliments fallacieux, c’est celle que nous renvoient nos miroirs, celle que nous pensons avoir, celle que nous travaillons, celle dont nous craignons qu’elle soit mauvaise, etc. La première image, c’est le reflet ; cette image, Narcisse la contemplait à la surface d’un lac et il n’arrivait plus à s’en détacher, il en était devenu incapable d’aimer. Sans même se regarder dans le miroir, nous pouvons passer nos vies à quémander notre reflet dans le regard des autres, à s’assurer que nous avons une bonne image sur les réseaux sociaux, à ne plus rencontrer les autres que pour ce qu’ils disent de nous et finalement à ne plus être capables d’entrer en relation. Si Jésus ne se laisse pas prendre à ce jeu, c’est qu’il est libre de tout narcissisme, peu lui chaut le miroir de ces flagorneurs ; un seul reflet lui importe.
Avant d’y revenir, il nous faut parler d’un autre miroir. C’est celui créé par l’homme qui aime se voir dans les pièces de monnaie, insigne suprême de la puissance et souverain narcissisme : celui qui bat monnaie peut y graver son portrait. Cette seconde image, c’est l’effigie. Cette effigie et cette légende de qui sont-elles ? L’image de l’empereur est ainsi colportée à travers le monde entier, l’empereur voyage dans la poche du moindre de ses sujets et il devient la divinité présidant à tout échange commercial. Nous n’avons plus nos dirigeants dans nos poches, nous ne payons pas notre baguette et nos savons avec l’effigie de notre président – même s’il nous arrive de le faire avec les rois d’autres pays européens – pourtant les people continuent de nous inonder de leurs images, elles atterrissent dans nos maisons par la télévision, dans nos sacs par la presse et jusque dans nos poches par l’intermédiaire d’internet. Comme ceux qui payaient avec la monnaie romaine contre leur gré, nous sommes contraints de les voir, d’entendre parler de ces vies qui s’étalent devant nos yeux, dans nos oreilles. Il devient totalement impossible de ne pas les connaître, de ne pas savoir, et ces divinités nouvelles président non plus seulement à nos échanges commerciaux mais aux discussions et, par elles, à nos relations. Combien ont évité la discussion sur Merci pour ce moment ? Dans ce second miroir de nos vies, ce n’est plus notre propre image que nous cherchons mais celle des puissants qui nous est imposée. En la contemplant, nous nous mettons à vivre par procuration, à chercher en eux une destinée et devenons incapables de vivre notre propre vocation. Nous donnons un poids démesuré à la vie de ceux que nous regardons dans le miroir déformant des medias, mais nous oublions de nous arrêter à la consistance réelle de nos vies.
Narcisse ou César ? Sommes-nous contraints de passer nos vies dans la futilité entre nos reflets et nos effigies ? Jésus nous fait sortir de cette tenaille vide de sens pour donner à notre vie tout son poids, c’est ce poids qui le rend insensible au souffle inconsistant de la flatterie. Ce poids, c’est l’image qui est gravée en nous : l’icône. Rendez à Dieu, ce qui est à Dieu renvoie directement aux premiers chapitres de la Genèse : Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu, il les créa, homme et femme il les créa. En tournant nos regards non plus vers nos miroirs ou nos idoles mais vers Jésus, nous nous voyons dans le seul miroir qui soit vrai parce qu’il ne nous montre pas un reflet déformé de nous-mêmes mais l’original sur lequel nous avons été créés. Jésus tient le sens de sa vie de sa relation avec son Père : il y en a un qui lui dit de toute éternité : tu es mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour. Puisque nous sommes les icônes du Fils, il le dit aussi de chacun de nous. C’est de cet amour inébranlable que nous tenons l’être ; sans cette parole que le Père ne cesse de prononcer sur nous, nous cesserions simplement d’exister ; en la recevant, notre vie prend tout son sens. Dans les reflets de la flatterie, dans les effigies people, nous quêtons de quoi exister, nous cherchons les images ou les paroles qui nous donneront le sentiment d’être quelqu’un mais rien de tout cela ne dure, seul nous donne du poids, un poids d’éternité, le fait que le Père nous aime comme il aime le Fils et que cela subsistera pour l’éternité. Le reflet et l’effigie ne seront jamais que des succédanés inconsistants, aujourd’hui Jésus nous invite à chercher l’original dont nous sommes les icônes pour mesurer la densité de notre vie. Amen.