Saint Michel – 28 septembre 2014
26ème dimanche du temps ordinaire
Recherchez l’unité.
Notre être n’est pas encore à la mesure de notre désir.
Nos cœurs sont larges, reconnaissons-le. Ils aiment, ils veulent aider les plus pauvres et être attentifs à tous. Nous sommes remplis d’un désir d’infini, nous voulons être grands, être saints, être parfaits. Nous aimons Jésus, nous voulons donner notre vie pour le Christ. Nous crions avec Thomas : Allons à Jérusalem pour mourir avec lui ! (Jn 11, 16) et nous protestons avec Pierre : Si tous viennent à tomber à cause de toi, moi, je ne tomberai jamais (Mt 26, 33). Notre désir est large et nous sommes généreux, nous pouvons le reconnaître sans fausse modestie : nous sommes prêts à promettre, prêts à nous donner complètement et nous ne désirons rien d’autre qu’aimer.
Notre drame se noue au moment où nous rencontrons la réalité, au moment où notre désir de nous donner doit se faire don effectif, au moment où notre amour ressenti, doit se faire amour effectif, car pour aimer il ne suffit pas de sentir bien, encore faut-il agir bien. Voilà Pierre qui s’entend proclamer trois fois, et de plus en plus fort : je ne connais pas cet homme. Voilà Thomas qui s’enfuit quand vient la garde à Gethsémani. Mille grands désirs intérieurs n’ont jamais fait un seul gramme de charité, celle-ci commence le jour où nos mains se mettent à assister le pauvre, où nos pieds font les premiers pas vers celui qui nous a fâché, où nos bouches commencent à proclamer la bonne nouvelle. L’amour n’est véritable que s’il s’empare de tout ce que nous sommes : esprit et chair, cœur et corps. Laisser le Christ envahir nos vies, c’est le laisser non seulement embraser nos cœurs mais aussi envahir nos corps.
Le malheur c’est notre tiédeur. Contrairement à ce que nous pourrions croire, elle ne tient pas tant à la tiédeur de nos sentiments. Nous pouvons souffrir bien sûr de ne pas assez ressentir que nous aimons le Seigneur, mais nous ne sommes pas tièdes tant que nous nous mettons effectivement à son service, car celui qui souffre du peu de sentiment que contient son cœur désire au moins aimer plus. La vraie tiédeur c’est celle qui est mélange de chaud et de froid : chaleur du cœur, froideur du corps lorsque nos cœurs disent oui et que nos corps ne suivent pas le mouvement, lorsque nos résolutions enthousiastes se perdent dans les sables et que le temps a vite fait de les rejeter dans l’oubli. Lorsque nous croyons que nous aimons mais que nous n’aimons que du bout du cœur. La vraie tiédeur c’est cette inconstance de notre amour, et il est très difficile de lutter contre elle car elle n’est pas le fruit d’un choix, elle est plutôt le non-choix.
En lisant le texte avec précision, nous nous apercevons que le premier fils, celui qui va finalement travailler à la vigne a changé sa route : mais ensuite, s’étant repenti, il y alla. Tandis que le second n’a jamais vraiment décidé de changer d’avis : Il répondit : ‘Oui Seigneur !’ et il n’y alla pas. Que s’est-il passé ? Rien. Il ne s’est rien passé de particulier, aucun changement de cap réel car son oui n’était rien de plus que le souffle d’une brise : agréable en plein été mais incapable de changer la face du monde, ni même de déplacer le moindre caillou. Nous en connaissons des oui de cet ordre. Me voilà à mon bureau bien décidé à travailler, et trois minutes plus tard je lis les nouvelles sur un site décidément très intéressant sans bien savoir ce qui m’a conduit de mon tableur à internet. L’exemple est anodin, il illustre pourtant ce qui pourrait bien être notre vie tout entière si le Christ ne l’envahissait davantage. Nous avons raison de nous engager mais en vérité, personne ne peut dire ce qu’il a dans les tripes tant qu’il n’a pas été confronté à l’épreuve. Tous les capitaines de bateau sont prêts à donner leur vie pour les passagers qui leur sont confiés mais c’est au cœur du danger et du naufrage que l’on distingue celui qui le fait effectivement de celui qui prend le premier canot de sauvetage disponible pour fuir ses responsabilités ; car il ne suffit pas d’avoir des sentiments dans le cœur pour aimer, il faut encore avoir des tripes pour accomplir ce qu’il faut le moment venu. Seul le Christ a fait en lui-même l’unité entre le cœur et les corps, entre l’âme et la chair, entre la parole et les actes. Il est le troisième fils, celui qui est un : il dit oui et il fait oui. Il nous montre ce que peut être notre être quand il parvient à son degré maximum d’unité.
Cette distance entre lui et nous peut nous plonger dans les abîmes du désespoir et du je-n’y-arriverai-jamais, pourtant elle doit plutôt nous envahir d’une très grande espérance car nous contemplons en lui ce qu’il veut faire en nous : qu’enfin nous soyons uns. Rien n’est acquis mais si nous plaçons en lui notre foi, il peut mettre en nous l’unité de la parole et de l’action, du désir et de la réalité, du cœur et du corps. Par notre prière et notre action, par la manière dont nous le laissons petit à petit prendre la main dans notre vie, par le don que nous lui faisons de notre liberté, lui peut petit à petit nous rendre pleinement aimants dans nos paroles et dans nos actes. Si nous le laissons nous envahir de son unité, il nous embrasera non seulement le cœur mais aussi les mains, les pieds et la tête ! Amen.