Qu’on me donne la faim la soif, puis un festin

Saint-Hippolyte – Samedi 21 Juin

Messe anticipée de la Fête-Dieu

« Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde »

Pour bien comprendre les enjeux de la discussion à laquelle nous assistons aujourd’hui entre Jésus et ses contradicteurs, pour bien comprendre le sens même des paroles de Jésus : le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde et ces autres paroles que nous entendons plus souvent : Prenez et mangez en tous, ceci est mon corps livré pour vous, il nous faut en chercher les racines. 

Le geste de Jésus qui s’offre sous les voiles du pain et du vin n’est pas un miracle sans fondement, ce n’est pas un geste d’alchimie dans lequel Dieu remplacerait simplement le pain par sa présence, mais c’est un acte d’amour par lequel il donne la vie au monde en s’offrant lui-même. Comme tout amour ici-bas, celui-ci est inscrit dans une histoire qui commence à l’Exode lorsque les hébreux eurent faim. Ce cri des Hébreux au désert résume en fait le cri affamé de l’humanité tout entière. C’est pour nourrir l’humanité, la nourrir vraiment, que le Seigneur l’a libérée de l’esclavage de Pharaon, pourtant cette libération de l’esclavage est associée à l’indigence et la pénurie. Les Hébreux sont sortis d’Égypte, les voilà au désert, ils gouttent une liberté nouvelle mais très vite, ils s’aperçoivent que cette liberté n’est pas sans inconvénient et ils se souviennent des concombres qu’ils mangeaient en Égypte. Certes, ils étaient enchaînés, mais au moins avaient-ils à manger. Au désert, Dieu qui les aime comme ses enfants veut leur apprendre que les concombres d’Égypte, les mets les plus délicieux et les nourritures les plus raffinées ne pourront jamais combler leur faim. Le Seigneur ton Dieu t’a fait connaître la pauvreté : drôle de libérateur ! Les Hébreux souffrent de la faim et ils découvrent ainsi que celui qui est repu ne peut être comblé ; car être comblé ce n’est pas détruire en soi le désir mais le voir grandir à mesure qu’il est rassasié. Il y a une chanson de Johnny à ce sujet. Pour pouvoir être nourri, être véritablement nourri, il est nécessaire que le désir ait été creusé en nous. De même que celui qui s’est empiffré de bonbons devient incapable d’apprécier un repas cuisiné et rempli d’arômes, de même celui qui s’est gavé de tout ce que le monde d’ici-bas peut offrir devient incapable de goûter à la seule nourriture qui rassasie l’âme autant que le corps. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.

Ce sont ces paroles même que Jésus citera à Satan lorsque ce dernier essayera de le tenter au désert. Jésus voulut connaître cette faim humaine pour nous donner de bien en comprendre les dimensions, pour nous faire sortir du mensonge du diable qui veut nous faire croire que notre faim est uniquement celle du pain, que notre soif est uniquement celle de l’eau. À vrai dire, la réponse à la tentation démoniaque est définitivement donnée par Jésus dans l’Évangile de ce jour. Le pain que je donnerai c’est ma chair. En disant cela, le Christ renverse totalement la tentation. Satan lui disait : prends ce qui t’entoure pour nourrir ta chair. Jésus lui rappelait déjà que seul Dieu pouvait nourrirvraiment ; maintenant, il se présente comme celui-là même qui va nous nourrir. De même qu’il disait à la samaritaine puisant l’eau au puits, que c’était plutôt elle qui aurait besoin de son eau, de même, il nous manifeste ici que c’est lui qui va nous nourrir, et de sa vie même, celle qui a jailli de son côté ouvert sur la croix.

Pour le recevoir, encore faut-il avoir faim. Comme les Hébreux sont passés par le manque pour pouvoir entendre et recevoir la Parole de Dieu, il nous faut entrer dans le besoin pour être capable de recevoir ce don qui dépasse tous les dons. Le jeûne eucharistique qui est demandé une heure avant la communion nous encourage à cela, mais il peut rester strictement symbolique tant il engage peu (en particulier quand les prédicateurs sont longs !). Si nous voulons véritablement que le Christ nourrisse nos vies, si nous voulons que notre foi ne soit pas simplement une affaire intellectuelle mais qu’elle nourrisse notre chair même, il nous faut entrer plus avant dans le désert. Partons à la recherche de notre faim, notre faim profonde, elle est parfois cachée derrière des besoins que nous nous inventons et d’autres qui sont importants mais secondaires. Partons au désert et une fois que nous aurons passé nos faims les plus superficielles : notre envie de remplir nos placards, notre avidité à remplir nos comptes en banques, notre inclination à vouloir le dernier objet à la mode, nous avancerons plus loin au fond de nous-mêmes. Nous y trouverons notre besoin de nourrir notre corps mais aussi de faire partie de la société, d’être reconnus, d’avoir un travail et une place puis, continuant cette aventure spéléologique intérieure, nous descendrons plus profondément et verrons notre désir d’avoir un ami véritable, notre désir d’avoir une personne avec qui partager notre vie et des enfants à faire grandir. Arrivés à ce stade, nous apercevrons au cœur de notre être, une seule faim, un seul désir qui fait battre tous les autres : celui d’être aimé de manière inépuisable de manière proprement divine, celui de savoir que quelqu’un fut prêt à tout donner pour nous, celui de recevoir la vie de ce Dieu qui nous la donne.

Tel le pélican dans les entrailles duquel ses petits viennent picorer leur nourriture, notre Dieu nous ouvre sa bouche, il nous laisse venir nous nourrir de sa vie en chaque eucharistie. Puissions-nous laisser grandir en nous le désir infini qui habite nos cœurs, puissions-nous avoir faim de ce don qui nous comble vraiment. Amen.

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