4 MAI 2014 – SAINT-HIPPOLYTE
3ème DIMANCHE DE PÂQUES
Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent.
Ce qui est étonnant dans cet évangile des pèlerins d’Emmaüs, c’est le fait que le Christ ne soit pas reconnu par ces deux disciples. Ils devaient pourtant l’avoir vu de près puisqu’ils l’ont suivi avant sa Passion, mais leurs yeux sont aveuglés. Cet étonnement est redoublé par le fait qu’ils le reconnaissent finalement lorsqu’ils reçoivent le pain rompu et que c’est précisément le moment où le Christ disparaît à leurs regards. Autrement dit, la présence de Jésus aux disciples échappe aux représentations habituelles. Il n’est pas identifié par les traits de son visage, et, lorsqu’il l’est, sa présence visible disparaît.
Par ailleurs, dans la première lecture, Saint Pierre n’hésite pas à dire aux habitants de Jérusalem à propos de la résurrection du Christ : c’est là ce que vous voyez et entendez. Les habitants de Jérusalem, ont-ils vu ? Ont-ils entendu ? Ils n’ont rien vu ni entendu d’autre que Pierre et les onze autres Apôtres qui témoignent de ce que eux ont vu, touché et entendu du Christ ressuscité.
Enfin, dans la deuxième lecture, le même Pierre met face à face l’or et la foi. Nous pouvons tenir dans nos mains l’or et l’argent, nous pouvons les palper tant que nous voulons, reste qu’un jour ils seront détruits. Tandis que le sang précieux du Christ en qui nous avons foi, nous ne pouvons guère le toucher. Pourtant c’est ce sang qui nous a sauvés, sang bouillonnant de vie que nul ne peut saisir, sang qui bat dans nos veines depuis le baptême, ce sang subsistera à jamais.
Les apparences sont trompeuses. En ce jour, par Pierre et les disciples d’Emmaüs, le Christ nous pousse à voir la réalité à travers le peu qu’en distinguent nos sens. Combien de fois dans les situations les plus anodines de nos vies, nous apercevons-nous que nous avions mal vu, mal entendu, mal regardé, mal écouté ! Quiproquo, confusions, malentendus, méprises sont les manifestations habituelles de l’une de nos malédictions les plus douloureuses : nos sens sont incapables de nous donner d’appréhender fidèlement la réalité alors qu’ils nous en font la promesse. Il nous faut toujours les éprouver, les remettre en cause, chercher à voir par-delà ce qu’ils nous font voir. Nous ne pouvons pas compter sur eux mais en même temps nous sommes livrés à ses amis infidèles. Tout en les sachant trop souvent traîtres, nous n’avons pas d’autre choix que de nous appuyer sur eux si nous voulons vivre.
Sachant cela, le Christ ressuscité s’expose aux regards et aux oreilles de ses apôtres, il se livre même aux mains de Saint Thomas ; il leur montre ainsi que sa résurrection est bien réelle, qu’il ne s’agit pas d’une métaphore ou d’une image ; pourtant, il ne leur laisse pas croire non plus que leurs sens pourront leur dire la réalité de sa présence qui dépasse largement ce que leurs yeux peuvent en discerner. En reconnaissant le Christ au moment même où il disparaît à leurs regards et en repartant tout joyeux à Jérusalem, les disciples d’Emmaüs font le pèlerinage qui les libère de la prison des sens. Ils attendaient un libérateur extérieur, un roi gouvernant le monde selon la justice, ils trouvent un libérateur intérieur, le roi véritable qui change le monde de l’intérieur en convertissant leurs cœurs et qui leur donne de voir le réel tel qu’il est alors que leurs sens ne perçoivent qu’un morceau de pain. En écoutant Jésus sur la route et en le contemplant à la fraction du pain, ils reconnaissent une présence qui ne se réduit pas à ce que les sens en appréhendent et ils retournent à Jérusalem proclamer sa résurrection aux apôtres.
Telle est notre foi. Nous pourrons toujours être accusés de suivre l’illusion de nos imaginations, de nous faire des films ou des romans. Nous savons que la réalité qui nous est donnée dans la foi déborde abondamment l’expérience que nous en avons. Bien sûr, notre foi a pris naissance par les sens : la foi nous a été annoncée, nous avons contemplé les merveilles de Dieu, nous avons eu le sentiment d’une présence qui nous faisait chaud au cœur, nous avons rencontré des personnes croyantes qui nous ont bouleversés. Cependant, lorsque la foi prend son envol, elle n’est plus réduite à l’expérience sensorielle qui pourrait toujours être le fruit de notre imagination ou une tromperie. La foi est ce qu’il y a de plus sûr, elle est le lieu où nous voyons la réalité pour ce qu’elle est vraiment. Tout ce qui semble si stable à nos sens est souvent éphémère au regard de la foi qui voit passer la figure de ce monde. L’or et l’argent, ils seront détruits. Au contraire, les choses les plus réelles, les plus vraies et les plus durable de nos vies – l’affection que nous avons pour nos parents, l’amour de deux époux, la confiance mutuelle des amis, la vie que Dieu met dans nos cœurs – ne se donnent pas facilement aux sens qui ne font que les entrapercevoir par un regard, un geste, une parole. Nous ne cherchons pas le contentement des sens, nous désirons qu’ils soient renouvelés afin de nous permettre enfin de reconnaître à la fraction du pain le Christ ressuscité brûlant nos cœurs. Amen.