Aube du soir de Pâques

SAINT HIPPOLYTE – 20 AVRIL 2014

MESSE DU SOIR DE PÂQUES

Notre cœur n’est-il pas tout brûlant ?

En ce jour de Pâques, nous contemplons, avec les pèlerins d’Emmaüs, le Christ ressuscité. En nous réjouissant de cet heureux dénouement, il nous faut cependant prendre garde : la Résurrection n’est pas le happy end de l’Évangile, cette histoire de mort et de résurrection que nous avons vécue cette semaine, si elle s’apparente à tous les contes, les romans et les films que nous connaissons, s’en différencie aussi radicalement. Croire c’est comprendre cette différence. Car, tant que nous mettons l’histoire de Jésus sur le même plan que les autres, nous pouvons être accusés, et à juste titre, de nous nourrir d’illusions, de nous abuser nous-mêmes par ce conte imaginaire dans lequel tout serait bien à la fin. Notre désir de croire aux lendemains qui chantent est tellement fort qu’il peut nous faire oublier que la Résurrection ce n’est pas un dénouement heureux que nous attendons pour demain mais c’est la réalité que Dieu nous donne pour maintenant.

Ce qui différencie fondamentalement la résurrection du Christ de tous les dénouements heureux de l’histoire, c’est qu’elle est une pure nouveauté. Jamais on n’avait entendu, jamais on n’avait vu, qu’un homme jaillisse du tombeau pour ne plus jamais mourir. Même Lazare dont nous avons lu le récit il y a deux semaines n’a pas vécu une chose pareille. Sa résurrection est assez inouïe, et pourtant elle est loin d’être du même ordre que celle du Christ, bien qu’elle la préfigure. Lazare s’est levé du tombeau comme un homme et il a dû de nouveau mourir quelques années plus tard. Il y a un miracle dans son retour à la vie mais ce miracle reste temporaire, comme l’est un jour de bonheur dont nous savons qu’il sera suivi d’autres jours de peine.

La résurrection de Jésus est donc unique en son genre. Elle est une œuvre plus merveilleuse encore que la création. Pourtant, quelle merveille que la création lorsque Dieu créa tout à partir de rien. Il n’y avait rien de rien, du vide, à tel point vide qu’on ne peut s’imaginer comment c’était car dès lors que nous imaginons, nous cherchons à voir ce qu’il y avait. Or, il n’y avait rien à voir ni à entendre, pas un souffle d’air dans lequel aurait pu résonner une parole, pas une lumière pour éclairer le rien. Il n’y avait que Dieu. Dieu seul, éternel et invisible, le Père donnant vie au Fils, le Fils rendant gloire au Père, et l’Esprit Saint amour des deux.  Le Dieu unique n’avait besoin de rien mais dans la bonté de son amour surabondant, il prononce une parole et voilà que la terre existe, qu’elle est remplie de beautés, que foisonnent les êtres vivants et que battent les cœurs de milliers d’hommes et de femmes.

Splendeur qu’est le miracle de la création ! Cependant, si admirable qu’il soit, il n’a rien qui doive nous étonner. N’était-ce pas naturel que ce Dieu si aimant ait le désir de faire vivre une profusion d’êtres et de donner à des hommes et des femmes sa joie ?

La résurrection du Christ est comme une nouvelle création encore plus splendide que la première. Lorsque les apôtres contemplent le regard, entendent la voix et touchent les plaies de Jésus, c’est bien d’un homme qu’il s’agit. Pourtant cet homme n’est déjà plus le sujet de ce monde-ci, il échappe aux représentations habituelles. Les disciples d’Emmaüs l’ont côtoyé du temps de sa vie publique, mais ils marchent à ses côtés ce soir-là en le prenant pour un étranger et ce n’est que lorsque leurs cœurs y sont prêts qu’ils le reconnaissent, alors même qu’il disparaît à leurs yeux. Le matin, Marie-Madeleine avait pris Jésus pour le jardinier dans un premier temps, ce n’est que lorsque Jésus avait prononcé son nom, qu’elle l’avait reconnu. Autrement dit, cette création nouvelle ne fonctionne plus tout à fait comme la première, Jésus n’est reconnaissable aux yeux de chair que lorsque les cœurs ont discerné sa présence. En ressuscitant des morts, Jésus ne fait donc pas une simple réparation de la création, il fait une création nouvelle et éternellement nouvelle. Sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir, dit l’apôtre Paul. Voilà qu’enfin, un homme vit à jamais pour ne plus jamais mourir et il ouvre à l’humanité tout entière la porte de la vie. C’est bien le même Jésus et pourtant il n’est plus comme avant. Désormais, rien ne peut plus être comme avant.

Notre foi dans la Résurrection n’est donc pas un mirage qui nous permette de mieux supporter les malheurs de nos vies. Elle est la certitude, fondée sur la parole de ceux qui ont vu, entendu et touché le Verbe de vie, que du neuf est possible dans notre vie et que cette nouveauté est déjà à l’œuvre. Les disciples d’Emmaüs marchaient sans plus d’espérance, et voilà qu’ils retournent à Jérusalem dans la joie. En rencontrant le ressuscité, la foi est née en eux. Une foi véritable, non pas l’enthousiasme délirant des partisans d’une utopie mais la certitude intérieure que rien ne peut plus les séparer de cet amour indéfectible du Christ qui vainc la mort, de cette nouveauté éternelle qui déjà les brûle, et qui un jour les embrasera totalement. À leur suite, laissons-nous saisir par le Christ jusqu’à être éblouis par la clarté de sa vie, abasourdis par la richesse de son cœur, perdus dans la nuée de son amour. Amen.