SAINT HIPPOLYTE – 13 AVRIL 2014
DIMANCHE DES RAMEAUX
Écrit en collaboration avec Anastasia F.
Au seuil de la semaine sainte, la question est toujours un peu la même. Comment Jésus, fils de Dieu a-t-il pu mourir? Souvent accompagnée de « comment ont-ils pu? ». « Ils », ce sont tous ceux qui ont participé de près ou de loin à cette mise à mort, juges, soldats, disciples, ceux qui l’ont tué ou ceux qui l’ont lâché.
Celle que nous nous posons moins concerne les fidèles, la vierge Marie, les saintes femmes, saint Jean : comment ont-ils pu eux aussi? Et bien souvent nous n’osons nous placer avec eux, trop persuadés que nous sommes de notre faiblesse, de la faiblesse de notre amour pour Dieu. On nous l’a répété, nous y avons cru et nous nous frappons la poitrine : nous aurions trahi, comme Judas, comme St Pierre, comme la majorité. Nous n’osons plus proclamer avec Thomas : Montons à Jérusalem pour y mourir avec lui, de peur d’être velléitaires et de suivre le même chemin de trahison qu’ont suivi les apôtres. Qui sommes-nous donc pour croire que nous aurions pu appartenir au petit nombre que la croix n’a pas rebuté ?
Or, il n’y a pas de fatalité du reniement ; mieux : chaque année, le carême et la semaine sainte nous donnent l’occasion de nous convertir, de changer de camp, de passer du côté des fidèles, car chaque semaine sainte nous offre une chance que n’ont pas eue les apôtres : nous savons. C’est d’ailleurs ce qui rend cette fête des Rameaux si grave. Chaque année, on aimerait y croire, on entend le récit de l’entrée glorieuse à Jérusalem, la foule en liesse, les acclamations convaincantes, et puis moins de vingt minutes plus tard l’évangile de la Passion retentit. Bien que Jésus les ait prévenus – il faut que le Fils de l’homme souffre, meurt et ressuscite – les apôtres, eux, ont pu ouvrir de grand yeux étonnés dans le jardin de Gethsémani, ils ont peut-être repassé dans leur mémoire les événements si contradictoires qui s’étaient déroulés dans la même cité de Jérusalem cinq jours avant, ne comprenant pas comment on pouvait changer si vite d’avis, mais nous, nous savons. Et cette connaissance des événements est une grâce, elle nous offre du temps. Le dimanche des Rameaux ouvre la semaine sainte, mais le lundi, le mardi, le mercredi saints passent et nous ne savons jamais quoi en faire, nous attendons le Triduum, la crise et la résolution du drame divin; à leurs côtés, les premiers jours de la semaine semblent insignifiants.
Ce temps apparemment si vide, dont la suite proche était ignorée des apôtres, est pour nous le temps gracieux du choix. Nous avons trois jours pour nous décider, trois jours pour nous débattre dans tous les sens, trois jours pour avoir la tentation de renier, une fois ou mille fois, trois jours pour nous demander si nous aimons Jésus au point de l’accompagner jusqu’à la croix, jusqu’à la mort, jusqu’à la seconde où sa souffrance sera telle que nous douterons de la Résurrection, trois jours pour contempler déjà la croix et sa beauté aussi bien que son abjection, pour nous répéter que nous ne serons pas capables de nous tenir à son pied, de regarder le Sauveur mourir, et de croire encore en lui. Ce temps, loin d’être un temps vide est un temps de remous de l’âme, un temps où notre attachement à Dieu se rejoue en accéléré, un temps où la décision s’impose, et où l’on peut choisir la croix plutôt que la fuite. Ne nous laissons donc pas simplement griser par le triomphe éphémère des rameaux, oublieux de ce qui attend le Seigneur. Mettons à profit ce début de semaine pour sonder notre cœur, pour y chercher l’amour, et demandons à Dieu de nous dilater le cœur afin qu’au seuil du vendredi saint nous ne disions pas: « j’ai fui parce que je ne savais pas », mais « je suis là car je t’aime! ». Amen.