Nostalgie de l’avenir

16 MARS 2014 – SAINT HIPPOLYTE

2ème DIMANCHE DE CARÊME

1re lect. : Gn 12, 1-4a

Ps : 32, 4-5.18-19.20 et 22
2e lect. : 2 Tm 1, 8b-10
Évangile : Mt 17, 1-9

La contemplation à laquelle sont introduits les trois disciples les plus intimes du Christ les marquera à jamais. Saint Pierre en parlera encore dans une lettre écrite à la fin de sa vie comme du moment le plus important de son témoignage : cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne (2 P 1, 19). Nous pouvons le comprendre à partir de notre expérience personnelle : ce que nous voyons, ce que nous entendons nous brûle de l’intérieur et laisse dans notre souvenir une marque d’autant plus forte que ce sont des choses que nous sommes faits pour aimer. Nous gardons en mémoire toute notre vie le visage d’êtres aimés, la splendeur d’un moment de grâce, l’écoute d’une parole ou d’une mélodie qui nous ont traversés de leur beauté. Si l’éclat des choses créées, des êtres de ce monde et des paroles humaines peut laisser en nous une impression indélébile, imaginons la trace que laissent la parole même du Père et le visage rayonnant du Fils de Dieu dans le cœur de ceux qui les ont contemplés et entendus ! Si des amours humaines peuvent nous marquer à jamais, combien plus l’amour de Dieu laisse en ceux qui l’ont découvert une empreinte éternelle.

Bien sûr, la Transfiguration a été réservée à Pierre, Jacques et Jean ; pourtant, nous-mêmes avons sans doute aussi fait l’expérience d’être brûlés par le passage de Dieu dans nos vies. Le temps du carême est un temps privilégié pour revenir à ce souvenir. Si nous voulons faire de notre carême une quête de Dieu, si nous voulons nous avancer dans le désert pour monter aussi sur la montagne et y rencontrer Dieu, commençons par nous souvenir de ce que Dieu a accompli dans notre vie. Revenons à la rencontre ou aux rencontres que nous avons faites avec Dieu, ces moments où nous avons entendu la parole du Seigneur nous être adressée comme à Abraham, et ses promesses : je te bénirai, tu es mon Fils bien-aimé, etc. En ce temps de carême, pour aller de l’avant, redécouvrons les origines de notre relation avec le Seigneur, reprenons-les choses à neuf, souvenons-nous de l’époque où, brûlés de son amour, nous nous sommes mis en route pour traverser nos vies avec lui.

Nous risquons en effet de nous laisser endormir par la routine en nous accommodant d’une vie de laquelle nous chercherions à éloigner toute douleur, toute épreuve, toute gêne. La meilleure solution pour faire fuir la routine, c’est de nous souvenir que nous sommes brûlés d’amour et que nos cœurs ne désirent rien tant que ce que le Seigneur nous a promis. Il y a en nous un désir d’infini qui veut contempler le visage du Seigneur dont nous avons peut-être aperçu quelques rayons, un désir d’infini qui veut écouter sa voix dont nous avons entendu l’écho encore lointain. Si je vous invite aujourd’hui à revenir à ces origines, ce n’est donc pas pour nous épancher dans la nostalgie d’un temps où nous n’avions pas perdu toutes nos illusions mais pour nous souvenir que ces promesses dont le Seigneur nous a donné l’esquisse s’accompliront. En traversant le désert du carême, il est important que nous gardions en mémoire que le Seigneur a déjà agi dans nos vies, il nous a libérés comme les Hébreux d’Égypte, il nous a donné de le contempler comme les trois apôtres sur la montagne.

Ces dons qu’il nous a faits en annoncent de plus grands, ils annoncent qu’un jour le Seigneur réalisera ce que nos cœurs désirent. Pierre le comprend bien lorsqu’il propose de construire trois tentes. La tente est pour les Juifs le rappel du lieu où Dieu venait à la rencontre de Moïse dans le désert, c’est le lieu de la rencontre des hommes avec Dieu qui rappelle à la fois que Dieu est venu, qu’il n’abandonne pas l’homme dans sa marche et que cette marche aura un terme dans la rencontre définitive que nous ferons avec lui. Pierre fait une erreur cependant en croyant que c’est à l’homme de construire une tente pour Dieu, et c’est pourquoi sa demande n’est pas réalisée ; c’est Dieu lui-même qui construira pour nous une demeure et cette construction passe par la Croix et la Résurrection qui reste encore à accomplir. Aussi, à la demande de Pierre répondra bientôt l’annonce de Jésus : tu es Pierre et sur cette Pierre je bâtirai mon église.

La même épreuve nous est proposée : nous entrons dans ce carême comme dans un désert. Traversons-le en nous souvenant de notre désir véritable que le Seigneur a éveillé aux origines de notre vie chrétienne, en restant des mendiants de l’amour de Dieu, en nous souvenant qu’aucune de nos constructions ne peut combler notre désir. Demandons encore à Dieu ce qu’il veut accomplir : établir en nous sa demeure et édifier pour nous et par nous le Royaume éternel. Amen.