PRÉSENTATION DE JÉSUS AU TEMPLE
2 février 2014 – Saint Hippolyte
Sur une idée originale d’Anastasia F.
Quelle fête étonnante que celle de la Chandeleur ! Elle semble tout tenir en elle. Il y a un peu de Noël : l’enfant Jésus est encore tout petit, il a à peine un mois et demi. Il y a un peu du vendredi saint avec le sacrifice des deux tourterelles qui annonce celui de Jésus et l’annonce de ce glaive qui va transpercer le cœur de Marie. Mais il y a surtout beaucoup de Pâques ! Pâques dans les paroles de Syméon : Mes yeux ont vu le salut, Pâques dans la joie d’Anne la prophétesse de voir arriver la délivrance de Jérusalem, Pâques enfin et surtout dans notre procession des lumières, qui nous annonce plutôt qu’elle ne nous rappelle la Vigile pascale.
En ce jour, tout est déjà accompli. Le Verbe a pris chair à l’Annonciation, il est né à Noël, il est entré dans le Temple au jour de sa présentation, il a été reconnu par ceux qui attendaient la venue du Messie. À nos yeux, il aurait bien pu se contenter de cet instant glorieux où était exaucée toute l’espérance d’Israël exprimée par Malachie : Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, ce moment aurait pu devenir toute l’éternité. Syméon, Anne, Joseph et Marie auraient entouré le Seigneur qui aurait fait de ce Temple de Jérusalem le paradis même en transfigurant d’un seul coup toute la création.
Pourtant, il en a été tout autrement. Les lumières joyeuses de la Présentation se sont éteintes, Marie et Joseph s’en sont retournés, Syméon et Anne sont morts, Jésus est allé vivre dans une obscure bourgade de Galilée, il y a appris à vivre et à travailler et il n’en a pas bougé pendant trente années. Trente longues années durant lesquelles il s’est refusé à manifester sa gloire et sa lumière. Lorsqu’il l’a montrée aux yeux des hommes, il a encore pris le temps. Trois années complètes. Trois années où il a brillé, s’est fait connaître, a parlé dans les carrefours, les villages, les places publiques. Mais c’était trop de lumière, et il a dû descendre encore plus bas qu’il ne l’était à Nazareth dans sa vie cachée. Il est descendu dans les ténèbres de la Passion et de la mort où durant de longues heures, il a bu avec amour la coupe amère de la haine des hommes.
Mort, il a attendu dans le tombeau encore trois jours avant de faire resplendir la lumière de sa résurrection. Trois jours longs comme des jours sans Dieu. Lors de sa présentation au Temple, cette gloire était à portée de main, la vie de cet enfant nouveau-né resplendissait déjà autant que celle du ressuscité. Pourquoi donc ces trente années caché, ces trois années manifesté et ces trois jours enseveli ? Pourquoi cette lenteur ? Et nous-mêmes qui avons été baptisés, nous avons été sauvés, nos vies sont tout entières à Jésus, nous avons la vie éternelle. Pourtant nous passons toute une vie ici-bas à combattre pour enfin nous livrer un peu à Jésus-Christ. Pourquoi est-ce si lent de faire des sauvés ?
Parce que l’Éternel a voulu aussi habiter le temps.
Ce temps qui nous presse ou nous ennuie, temps irrévocable qui enferme toutes nos actions dans le passé, temps implacable qui nous interdit de fuir l’avenir, temps qui nous ride et finira par nous tuer, ce temps est pourtant aussi celui sans lequel il n’est pas de vie humaine car nos cœurs battent à son rythme. Nous vivons le temps comme un intraitable geôlier, en habitant cette prison, le Seigneur a voulu qu’il redevienne l’espace de notre liberté.
Il a voulu donc vivre ce temps pour le sauver. Il a voulu connaître ces heures qui passent et nous permettent de choisir non simplement dans l’instant comme nous y inclinent nos passions, mais de choisir dans le temps, comme le souhaite notre cœur. Il a voulu connaître la fidélité de l’amour véritable. Tout était déjà là au jour de la Présentation, comme tout était déjà dans la première rencontre de ceux qui ont vécu une vie d’amour partagé. Pourtant, si tout est déjà donné dans le premier instant, il reste à ce tout de s’accomplir dans le temps. Jésus n’a pas voulu en rester à un coup de foudre avec nous, il a voulu embrasser notre humanité tout au long d’une vie. La connaître dans ses heures plus noires, dans son ennui, dans les petites choses de chaque jour qui préparent les grandes décisions. L’Éternel nous a donné sa fidélité au cours de ces trente-trois ans et trois jours comme signe de sa présence dans la durée, et non simplement dans un point du temps. La Présentation est à la vie de Jésus ce que les premiers moments de notre vie chrétienne, souvent pleins de lumière, sont à notre vie entière.
En vivant après son entrée dans le Temple durant trente années, trois ans et trois jours, Jésus habitait non plus seulement l’espace qu’est notre terre mais le temps même, et il le bénissait. À la Présentation, nous fêtons le même mystère qu’à Pâques, mais entre les deux, L’Éternel a sanctifié le temps pour en faire le lieu où nous pourrions lui être fidèles. En nous donnant cette fidélité, il nous permet d’enrichir notre relation à lui de la profondeur que seul donne le temps passé et traversé ensemble. Amen