Le roi de cœur

Samedi 23 novembre 2013 – Saint Hippolyte

XXXIVe DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE :

FÊTE DU CHRIST-ROI

1re lect. : 2 S 5, 1-3
Ps : 121, 1-2, 3-4, 5-6a.7a
2e lect. : Col 1, 12-20
Évangile : Lc 23, 35-43

Notre monde ne sait plus ce qu’est un roi. Il y a bien en Belgique un jeune roi qui tente de maintenir l’unité de son pays traversé par une crise politique interminable ; il y a aussi, en Angleterre, une vieille reine qui continue vaillamment à organiser des mariages dont le retentissement médiatique n’a d’égal que leur peu d’influence sur la politique mondiale ; il y a encore, en Espagne, une famille royale qui essaie de se maintenir sur le trône malgré la réputation sulfureuse du tyran qui l’y a mise. Mais osons dire que ces rois et ces reines, s’ils en portent le titre, ne le sont qu’en vertu du passé et de l’histoire. Aujourd’hui, ils ne le sont plus véritablement de fait, ils symbolisent la royauté sans l’exercer. On peut s’en réjouir ou s’en désoler, mais pour tous, force est de constater que nous ne voyons pas bien le rapport entre leur royauté de magazine et la royauté de Jésus. Alors, pourquoi fêtons-nous encore le Christ comme roi ? Qu’est-ce que cela signifie pour nous aujourd’hui ? En vérité, si nous cherchons à saisir la royauté du Christ en regardant les rois de notre monde, nous n’en comprendrons rien ; c’est bien plutôt en regardant Jésus que nous pouvons contempler ce qu’est la royauté véritable. En lisant l’évangile de ce jour, essayons donc de voir comment il est roi.

Cette courte demande du bon larron : Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume et la réponse aussi succincte de Jésus : Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis, manifestent combien sa royauté est personnelle. Nous pouvons nous réjouir, quant à l’administration du Royaume des cieux, de ne pas être soumis à un système bureaucratique qui nous demanderait des formulaires, des autorisations, des visas, etc. Le gouvernement du ciel n’appartient qu’à une seule personne : Jésus, et il l’exerce comme un roi humble et bon. Quel que soit le système de gouvernement qu’adoptent nos nations, il souffre trop souvent d’un caractère impersonnel et froid. L’État ne peut qu’appliquer la loi : il ne peut agir en fonction des personnes, il ne peut faire miséricorde car il n’a pas de cœur pour cela. Il est utile à l’organisation de notre pays, à son développement, à sa bonne marche tant qu’il reste au service des personnes. Mais il y a une chose qu’il ne peut pas faire, qu’il ne saura jamais faire et qui est bien au-delà de ses compétences : c’est de nous aimer et de nous sauver. Au contraire, pour ce qui est du Royaume des cieux et de son commencement ici bas qu’est l’Église, nous ne sommes pas le sujet d’une bureaucratie, aussi bien huilée serait-elle, nous sommes les sujets d’une personne à qui nous pouvons nous adresser, que nous pouvons prier, que nous pouvons supplier, à qui nous pouvons demander grâce. Nul besoin de connaître les heures d’ouverture, de prendre un ticket, de faire la queue et de supporter la mauvaise humeur du guichetier pour obtenir ce que l’on veut. Notre bonheur, c’est que ce roi est disponible, patient, bon et miséricordieux.

Ensuite, le trône de notre roi, c’est sa croix. Il est là en majesté, son titre est écrit au-dessus de sa tête comme motif de sa condamnation : s’il meurt c’est parce qu’il est roi. Son règne c’est de s’offrir pour nous. Une nouvelle fois, nous pouvons nous réjouir de ne pas avoir un roi despotique. La tyrannie : c’est l’autre écueil dans lequel peuvent tomber nos sociétés lorsqu’elles évitent la bureaucratie froide dans laquelle les personnes sont interchangeables. La tyrannie, c’est au contraire le triomphe d’une seule personne contre les autres. Le tyran a tous pouvoirs, mais le plus grave est  sa manière de les exercer : non plus comme un service, mais comme à son service. C’est par crainte de la tyrannie que nous avons rejeté un pouvoir trop personnel et démis notre roi. En Jésus, nous avons un roi véritable : son pouvoir royal lui est éminemment personnel et en même temps, il l’exerce en le mettant au service de son peuple ; ce service, c’est sa mort sur la croix. Remarquez-le, ce peuple est là et, mis à part le bon larron, tous confessent sa royauté mais n’en comprennent pas le mode : Si tu es roi, sauve-toi toi-même. Comme si la seule manière d’être roi, c’était de faire sentir son pouvoir, de choisir la première place, de se sauver avant les autres. En réalité, Jésus est en train de montrer comment régner et un seul homme, suspendu comme lui à la croix, le comprend. Ce que manifestait le lavement des pieds de la veille durant lequel il s’était agenouillé devant ses apôtres pour les servir, il l’accomplit pleinement sur la croix mais ce n’est apparent que pour celui qui a la foi, qui voit en ce condamné son Seigneur et son Roi et place en lui son espérance.

Cette allégeance du bon larron, c’est bien ce qu’il vient chercher dans nos cœurs. Il s’abaisse en montant sur la croix pour venir y recevoir la royauté que nous lui avons usurpée. Nous voudrions être les maîtres de nous-mêmes, nos propres rois et reines, nous savons pourtant que nous n’y arrivons pas, que sans cesse nous sommes rattrapés par nos habitudes, nos fantômes, nos passions. Nous voulons et ne faisons pas. En étant roi d’humilité, le Seigneur descend jusqu’à nous, il vient pour gagner nos cœurs. Devant la Croix, il suffit que nous fassions simplement la prière du bon larron qui reconnaît que pour lui c’est juste, qui découvre à ses côtés son roi venu le recueillir dans la détresse et qui lui demande simplement de régner sur son cœur. Nous ne redeviendrons maîtres de nous-mêmes qu’en reconnaissant Jésus pour notre seul roi et en criant vers lui : Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne. Amen.