C’est pas juste

20 octobre 2013 – Saint Hippolyte

XXIXe DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
 – ANNÉE C

1re lect. : Ex 17, 8-13

Ps : 120, 1-2, 3-4, 5-6, 7-8

2e lect. : 2 Tm 3, 14 – 4, 2

Évangile : Lc 18, 1-8

L’évangile de ce dimanche nous parle de la prière et particulièrement de la manière dont nous nous tournons vers le Seigneur dans la prière pour lui demander ce dont nous avons besoin. Or, que demande la veuve ? La justice. Cela n’est pas anodin, Jésus prend comme parabole la demande de justice d’une femme qui se retrouve sans autre recours que de harceler un juge pour obtenir justice. 

Si Jésus prend cet exemple, c’est avant tout pour nous montrer ce que nous désirons véritablement, ce qui fait le fond de notre cœur. Avant de désirer le bien-être matériel, avant de désirer la santé, avant même de désirer l’amour, nos cœurs sont épris de justice. C’est d’ailleurs la plupart du temps ainsi que nous formulons nos prières : “je n’ai pas mérité cela, ce n’est pas juste ce qui m’arrive. Seigneur délivre-moi”. Si la maladie, le malheur, les déboires que nous subissons étaient de notre fait, s’ils étaient justes, sans doute les subirions-nous avec davantage de résignation. Lorsque nous avons commis une faute et que nous en payons les conséquences, c’est légitime et nous acceptons mieux notre sort. Mais, dans notre vie, des épreuves se dressent sur notre chemin et elles sont souvent profondément injustes, nous n’en sommes pas responsables et elles frappent à l’aveugle sans que nous puissions en connaître les causes. Notre esprit ne comprend pas et notre cœur se met à crier de rage. 

Certains bien sûr chercheront à savoir quelle est l’origine de telles épreuves : est-ce que j’ai péché pour recevoir cela ? est-ce que mes parents ont péché ? Certains iront jusqu’à dire : qu’ai-je fait au bon Dieu ?  Mais nous savons pourtant  que ce n’est pas Dieu qui nous envoie ces souffrances, il ne veut que notre bonheur. D’ailleurs, ce désir de justice qu’il a placé en chacun de nous est la clef du bonheur. Tant que nos esprits continueront à ne pas accepter ce monde tel qu’il est, tant que nos cœurs crieront l’injustice et tant que nos âmes réclameront avec ardeur que le Seigneur établisse un monde plus juste, nous sommes des êtres de foi. 

Ce à quoi le Seigneur nous encourage ce dimanche, c’est à tourner cette détresse intérieure vers lui, quitte à nous mettre en colère contre lui. Faisons-lui entendre le cri de notre prière, n’hésitons pas à tourner vers lui le désir profond de nos cœurs. Car telle est la vraie prière, elle n’est pas le simple moment où je demande telle chose à Dieu (ou alors je le traite comme un distributeur automatique – parfois dysfonctionnant), non la prière, c’est toute notre vie, tout notre désir ; lorsque nous adressons nos prières au Seigneur, nous ne lui adressons pas une information – il sait bien ce dont nous avons besoin – mais nous lui exprimons le fond de notre désir, nous entrons dans une relation avec lui, nous laissons se creuser en nous la source qui transforme nos cœurs et les rend davantage fils et fille. 

Se tourner vers lui dans la prière pour réclamer la justice, c’est lui présenter avec humilité les besoins de nos journées, lui ouvrir nos moments de détresse, le laisser entrer dans chacun de nos instants et par nos petites et grandes demandes, c’est lui permettre petit à petit de creuser en nous le désir de la justice véritable. Le Seigneur semble parfois ne pas exaucer nos demandes, mais soyons sûrs que rien du désir que nous exprimons dans la prière n’est perdu, car la prière monte toujours vers lui et, par elle, Dieu forge nos cœurs pour que nous soyons à même de recevoir le don qu’il veut nous faire et qu’il nous fera. Un don qui ne soit pas simplement la solution à tel ou tel problème mais la justice véritable pour la terre entière. Le Seigneur exauce mais nous voyons trop souvent les choses par le petit bout de la lorgnette. Le Seigneur ne fait qu’exaucer, il est venu pour exaucer, il a souffert sur la croix pour exaucer notre désir et il est mort et ressuscité pour qu’enfin vienne la justice. 

La prière est le lieu où il accomplit cette justice puisqu’en faisant grandir en nous le désir de cette justice, elle nous rend aussi plus sensible aux nécessités et à la détresse du monde, et elle fait de nous des artisans de cette justice. En effet, par la prière, le Christ agrandit nos cœurs et, au fur et à mesure que nos cœurs s’élargissent, il nous rend aussi plus attentifs aux besoins de ceux qui nous entourent. Ainsi notre prière est-elle toujours à la fois un cri vers le Père et un regard qui embrasse le monde et sa détresse. En effet, qui crie injustice vers le Seigneur sans chercher à son tour à établir davantage de justice dans ce monde ? 

Et qui essaie d’établir davantage de justice sans être parfois submergé par l’ampleur de la tâche à accomplir ? Notre foi est en Jésus-Christ qui viendra un jour combler notre désir de justice. Elle est d’espérer avec confiance ce jour et de le hâter : en criant notre désir vers le Père et en œuvrant pour établir la justice et la paix. Amen.