Le temps fait le bonheur

29 septembre 2013 – Saint Hippolyte

XXVIe DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
 – ANNÉE C

1re lect. : Am 6, 1a.4-7
Ps : 145, 5a.6c.7ab, 7c-8, 9-10a
2e lect. : 1 Tm 6, 11-16
Évangile : Lc 16, 19-31

Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus nous ouvre les coulisses du théâtre de la vie pour que nous puissions voir les acteurs sans costumes ni maquillages, sans les spots qui les mettent en valeur et sans le décor en carton-pâte, pour que nous puissions voir les acteurs au naturel, dans leur réalité profonde.
En effet, notre texte est en deux temps. Il y a tout d’abord, le théâtre de la vie : le riche qui a des vêtements de luxe, qui fait des festins somptueux, et devant ce décor splendide et doré à souhait, un pauvre se tient, il est couché, blessé, habillé de loques, les chiens l’entourent et lèchent ses plaies. Jésus place devant nos yeux une scène telle que nous pouvons la voir sur notre terre, avec nos yeux de chair. Le riche semble heureux avec ses habits de fête, la lumière qui rayonne de sa maison, les délices de ses repas cuisinés; le pauvre porte le poids du jour, il craint le froid, il souffre de la faim, ses blessures ne cicatrisent pas par manque de soin, etc.
Puis vient le moment de vérité, celui de la mort de nos deux personnages. La situation est alors renversée du tout au tout. Le pauvre meurt et c’est avec honneur qu’il est porté au ciel par les anges. Celui qui était riche, quant à lui, souffre au séjour des morts d’une pauvreté telle qu’il supplie instamment Abraham d’envoyer Lazare, le pauvre qui se tenait devant chez lui, tremper le bout de son doigt pour venir lui rafraîchir la langue. À quelle indigence, à quelle soif faut-il être arrivé pour désirer simplement cette goutte d’eau qui peut tenir au bout d’un doigt !
Les rôles sont donc complètement inversés. Lazare, le pauvre mendiant, souhaitait manger les miettes de la table du riche, c’est maintenant le riche qui désire une goutte de l’eau à laquelle Lazare s’abreuve abondamment. Lazare souffrait, il est maintenant consolé ; le riche croyait avoir le bonheur, il est maintenant dans l’affliction et les tortures.
En réalité, ce retournement n’en est pas un ; la situation n’est pas changée, Lazare reste pauvre et le riche est toujours appelé de son nom de riche. Mais, ce retournement de situation manifeste quelles sont la vraie pauvreté et la vraie richesse ; celles qui se cachent derrière les masques. Comme le dit Saint Jean Chrysostome : « Dans les théâtres, quand vient le soir, et que les acteurs se retirent et quittent leur costume, ceux qu’on avait vus figurer sur la scène comme des généraux et des préteurs, se montrent à tous tels qu’ils sont dans toute leur misère. C’est ainsi que lorsque la mort arrive, et que le spectacle de la vie s’achève, tous les masques de la pauvreté et des richesses tombent ». Le spectacle de la vie est arrivé à son terme et ce qui est dévoilé dans cette situation finale, c’est le fond du cœur du riche et le fond du cœur de Lazare.
Lazare, le seul des deux dont le nom nous soit donné, comme si c’était le seul qu’il importait de connaître, nous est montré comme celui qui reçoit la vraie richesse – ce bien véritable dont Jésus parlait la semaine dernière. Mais attention, il ne faut pas comprendre les choses de travers ! S’il est reçu auprès de Dieu, s’il obtient cette vraie richesse, ce n’est pas par compensation. Jésus ne dit pas : parce que tu avais peu maintenant tu auras beaucoup, pas plus qu’il ne dit au riche «parce que tu avais beaucoup, maintenant tu n’auras rien». Il ne s’agit pas ici d’une basse vengeance. Abraham dit au riche : Rappelle-toi. Rappelle-toi le fond de ton cœur. Maintenant que le spectacle de la vie s’est achevé, tu ne peux plus te cacher derrière ton costume de la terre, la vacuité de ton cœur avare apparaît au grand jour et tu es incapable de recevoir le don que Dieu fait aux mains ouvertes.
Si Lazare reçoit le don de Dieu, s’il est porté par les anges vers le ciel, c’est parce que son cœur est ouvert et préparé à ce don. Certes, la pauvreté n’est pas l’assurance du salut, mais elle prépare à recevoir, elle ouvre le désir dans les cœurs. Tandis que les riches auront toujours tendance à croire qu’ils n’ont besoin de personne. C’est parce que les mains du riche de notre évangile avaient l’habitude de se fermer sur ses possessions, qu’il fut incapable de s’ouvrir à la vie divine au jour de sa mort. C’est parce que les mains de Lazare avaient l’habitude de se tendre pour mendier qu’il fut prêt au jour de sa mort à les tendre pour recevoir la vie divine.
Pour finir, rappelons-nous que nous ne voyons que les apparences, il ne nous appartient pas de juger le fond des cœurs des riches et des pauvres que nous connaissons. Nous pouvons simplement pour nous-même, demander au Seigneur de venir nous éclairer sur notre propre cœur, lui demander de venir nous rendre mendiant de son amour, que nous gardions une grande soif de l’eau de son esprit et une grande faim du pain de sa parole. Qu’il nous rende pauvre pour que nous puissions mieux le recevoir et que, nous ayant rendu pauvre, il vienne nous combler de sa richesse.
Amen.